Les Mercredi poétiques de Louis

…

J’allais tous les matins par le même passage,
Heureux comme l’oiseau évadé de sa cage.
Et, lorsque j’arrivais près des baraquements,
J’étais souvent saisi de vifs pressentiments :
Ne plus revoir Michel, le sauveur de ma mère,
D’être un jour pourchassé de ce camp militaire
Et de devoir souffrir, et souffrir à nouveau.
Cette peur, je l’avoue, m’allait jusqu’au cerveau.
Un jour, un haut gradé, inspectant la cuisine
Fut surpris de me voir, et je vis à sa mine
Du mécontentement au dépit se mêler.
Je sentis tout d’un coup mon bonheur s’écrouler.
« Que fait ce gosse ici ? » demanda-t-il sévère.
Je tremblais fortement ; j’avais peur pour ma mère.
Elle prenait du poids et son lait revenait.
Etait-ce le malheur à nouveau qui sonnait ?
Je le crus un moment tant cet homme était raide ;
Son intention, hélas, me paraissait bien laide.

Cet homme était de ceux qui ne plaisantent pas
Quand un soldat distrait perd le rythme du pas.
Ce fut le plus âgé de la petite troupe,
Celui qui tous les jours me remplissait de soupe
(La boîte en métal blanc emportée tant de fois),
Qui lui dit la raison, en rougissant d’émoi.
Les deux gradés parlaient tout au fond de la salle ;
Michel me regardait, son visage était pâle.
Ses traits étaient empreints d’une grande anxiété.
Il aurait j’en suis sûr risqué sa liberté,
Le bagne, la prison, et même l’Allemagne,
Pour défendre l’enfant pourchassé de l’Espagne.
J’ai su ce matin-là que tout homme a un cœur ;
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