Les Mercredi poétiques de Louis

...

Les gens nous regardaient d’une façon bizarre.
Nous traînions la misère et sa nocivité
(Mais qu’est-ce donc cela, face à la liberté ?)
Un homme mal vêtu s’approcha de ma mère,
C’était un Espagnol, mutilé par la guerre.
Ayant très justement vu la situation
Lui dit, en castillan, sans mauvaise intention :
« Si je peux vous aider, n’hésitez pas, Madame !
Je surpris dans les yeux de ma mère une flamme ;
Cette audace impromptue fut cause d’un courroux.
Heureusement que l’homme, aux cheveux un peu roux,
S’apercevant soudain de sa gaffe innocente
S’en alla boitillant : je crus Mère méchante.
Ce fut vers le Bristol : bar, hôtel, restaurant,
Que Mère nous mena nous asseoir un moment.
Une fille, menue et gentille à l’extrême
S’empressa de venir, en nous souriant même.
Mère lui demanda, en espagnol toujours,
Ayant perdu l’aspect sévère, même dur :
« Deux sirops de cassis et une limonade ! »
François pleurait beaucoup, il paraissait malade.
Quand la fille revint, Mère lui demanda :
« Savez-vous d’où s’en vont les autobus Sarda ?
— Je l’ignore, madame » et lui tendit la note.
Mère lui dit alors : « Mon Dieu, que je suis sotte !
Se rappelant soudain que c’était mentionné
Sur le bout de papier qu’on lui avait donné.
Elle l’avait rangé dans le sac de Denise ;
La serveuse attendait, ni pressée, ni surprise ;
Ayant en peu de temps compris la vérité.
S’approchant de ma mère avec humilité
Lui dit, en rougissant : « Vous permettez, madame ?
— Oui », répondit Maman, cachant sa tare infâme.

…